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LE MAROC ET LES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE : UN TOURNANT HISTORIQUE

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LE MAROC ET LES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE : UN TOURNANT HISTORIQUE

Le Maroc a été l’un des premiers pays d’Afrique à reconnaître la République Populaire de Chine en 1958.

Les relations entre les deux pays ont cependant été longtemps distendues, voire distantes. Les flux commerciaux étaient marginaux jusqu’à un passé récent et la Chine était peu visible au Maroc notamment dans les secteurs des infrastructures, des mines ou encore du tourisme.

C’est donc à la surprise générale que le Maroc est devenu le premier État de la région à signer, le 17 novembre 2017, un mémorandum d’entente avec la Chine actant une coopération bilatérale pour la construction conjointe de « One Belt, One Road ».  

Cette signature est en fait l’aboutissement d’un processus démarré au début des années 2010. La position stratégique du Maroc a alors évolué avec la volonté affichée de diversifier ses partenariats pour réduire sa dépendance, en particulier économique, à l’égard de l’Union Européenne, en premier lieu la France et l’Espagne. L’objectif prioritaire est de lutter contre le chômage des jeunes en créant des opportunités d’emploi. Le ministre marocain du commerce et de l’industrie estime alors que la Chine, dont le salaire moyen a sensiblement augmenté, pourrait délocaliser pas moins de 500 000 emplois au Maroc, en profitant de la compétitivité des salaires marocains…

De son côté, la Chine s’est intéressée au Maroc en raison de sa position stratégique de lien nord – sud, entre l’Europe, à laquelle le lie un accord de libre-échange et l’Afrique de l’Ouest francophone. Le plan d’accélération industrielle (PAI) du Maroc, lancé en 2012 dans les secteurs de la construction automobile et aéronautique, des énergies renouvelables ainsi que les investissements dans les infrastructures, tels que ports et lignes à grande vitesse, a suscité un grand intérêt.

Cette volonté réciproque de rapprochement a été illustrée par la première visite d’Etat du Souverain marocain le 12 mai 2016 à Pékin, véritable tournant dans les relations maroco-chinoises. Une quinzaine de conventions ont alors été signées entre opérateurs marocains et chinois pour un montant estimé à « plusieurs centaines de millions d’euros ». Le projet phare est celui de la construction d’une cité industrielle et technologique, à proximité du port de Tanger Med, 3ème hub portuaire du monde, pour y installer 200 sociétés chinoises dans les secteurs des hautes technologies et de l’automobile. L’enjeu est d’y créer 100 000 emplois.

Ces évolutions stratégiques se reflètent dans les statistiques des relations économiques entre les deux pays. Les exportations chinoises vers le Maroc ont plus que doublé entre 2011 et 2018 et ont hissé la Chine au rang de 3ème partenaire commercial du Maroc derrière l’Espagne et la France. La part de marché de la Chine a frôlé les 10% en 2018. Ces échanges sont toutefois très inégaux, avec un taux de couverture de seulement 5,4% pour le Maroc à la fin de 2018.

LE MAROC ET LES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE : UN TOURNANT HISTORIQUE

Les investissements directs de la Chine au Maroc sont également en hausse. Une trentaine d’entreprises chinoises y sont installées à ce jour (à comparer toutefois avec les 900 entreprises françaises implantées), notamment dans les secteurs des télécommunications, de l’informatique, de l’automobile… La Chine est très intéressée par la mise en place des écosystèmes dans le cadre du PAI marocain, en particulier dans le secteur de la construction automobile. Citons l’exemple de Citic Discatal qui a investi 410m USD dans la production de jantes en aluminium à Kénitra. Dans le cadre de leur stratégie africaine pour le ferroviaire, les entreprises chinoises se positionnent aussi très fortement pour la réalisation de la ligne LGV programmée entre Marrakech et Agadir. Pour rappel, ce sont des entreprises françaises (Alstom, Cegelec, Colas Rail, Ansaldo Ineo, SNCF) qui ont réalisé pour l’essentiel la LGV Tanger Casablanca, les entreprises chinoises n’y ayant été associées que marginalement. Ces dernières sont aussi présentes sur des projets emblématiques comme la future tour la plus haute d’Afrique, « Mohammed VI Tower One », en cours d’édification à Rabat.

En revanche, le projet de la ville nouvelle Mohammed VI Tanger Tech n’a pas encore vu le jour, le groupe Haite qui devait le porter s’étant désisté. Il a toutefois été remplacé en avril 2019 par le groupe chinois de construction et d’ingénierie, CCCC (China Construction Communication Company) mais rien ne s’est encore concrétisé.

Les flux touristiques ont connu une véritable envolée dès la suppression des visas après la visite royale de 2016, le nombre de touristes chinois passant de 10 000 en 2015 à plus de 200 000 en 2019. L’Office National Marocain du Tourisme a l’ambition de porter rapidement ce chiffre à 500 000, ce que devrait faciliter l’ouverture, le 16 janvier 2020, d’un vol direct entre Casablanca et Pékin par Royal Air Maroc.

Malgré ces inflexions notables, tout ne va pas aussi vite qu’annoncé. Des freins subsistent. Comme l’a affirmé à juste titre l’ambassadeur de Chine au Maroc Li Li dans une interview à Jeune Afrique en février 2019, « jamais les relations entre le Maroc et le Chine n’ont été aussi bonnes » mais « la Chine et le Maroc sont différents en matière d’histoire et de culture. Chacun de nos milieux d’affaires a sa propre zone de confort ».

La langue constitue la première barrière. Si l’usage de la langue locale est moins crucial quand il s’agit de livrer un projet clés en mains, entièrement réalisé par de la main-d’œuvre chinoise, ce n’est pas envisageable au Maroc où les autorités sont à l’affût de toutes les opportunités de création d’emplois, ce qui exclut le recours aux ouvriers chinois, et où un pourcentage croissant d’intégration locale est imposé quand il s’agit d’unités industrielles.

Les entreprises chinoises découvrent par ailleurs au Maroc un environnement des investissements très différent de celui qu’elles ont connu jusqu’alors sur le continent, y compris en Algérie voisine, que ce soit sur le plan juridique, normatif ou encore fiscal. Ainsi, dans le domaine du BTP ou du ferroviaire, ce sont les normes françaises et européennes qui prévalent. Les ingénieurs marocains, formés en France ou au Maroc, en sont imprégnés et sont tout à fait qualifiés pour challenger leurs homologues étrangers. L’adaptation à cet environnement spécifique est assez compliquée pour les entreprises chinoises, surtout quand elles sont étatiques.

Pragmatiques, les autorités chinoises reconnaissent ces difficultés et s’attellent à réduire les différences. Elles s’appuient sur deux leviers principaux : le soft power et l’aide financière.

  • Le soft power, c’est le recours à l’Institut Confucius dont 4 établissements ont été ouverts au Maroc au cours de la dernière décennie pour dispenser des cours d’apprentissage à la langue et à la culture chinoises. C’est aussi l’insertion du mandarin dans certaines formations professionnelles liées à l’hôtellerie et la restauration ou encore dans les programmes des 63 écoles de la Fondation BMCE Bank.

L’année du Maroc en Chine en 2020 avec un programme couvrant le tourisme, la culture et l’artisanat est un autre exemple des efforts chinois pour améliorer la compréhension réciproque entre les deux pays.

  • Les prochains investissements de la Chine au Maroc devraient aussi être facilités par l’octroi d’aides financières et par les accords de partenariats signés avec plusieurs banques marocaines.

S’agissant de l’aide financière, systématiquement liée, les montants en jeu ne sont pas connus mais on sait qu’elle devrait concerner de vastes pans de l’économie marocaine, précisément ceux pour lesquels la Chine ne fait pas mystère de son intérêt.

Il faut relever aussi la signature de plusieurs accords de coopération financière avec les trois principales banques du Maroc. Ils ont pour but affiché d’accompagner les investisseurs chinois au Maroc et en Afrique subsaharienne et les entreprises marocaines et africaines en Chine, et également d’assurer la promotion du renminbi dans la région.

La Chine pourrait s’appuyer sur le dynamisme des entreprises marocaines sur le continent et leur connaissance de l’Afrique centrale et de l’Ouest pour y trouver de nouvelles opportunités.

Même si rien de spectaculaire ne s’est encore concrétisé, les relations économiques maroco-chinoises sont bel et bien entrées dans une nouvelle ère. Compte tenu des liens privilégiés et historiques entre le Maroc et la France, cette dernière devrait s’assurer que la politique européenne à l’égard du Maroc prend bien en compte cette notable évolution qui représente un élément stratégique majeur pour le futur de la région.

Eric Bonnel & Janie Letrot, CCE Maroc